15. déc., 2021

LA VÉRITÉ DE TAISHAN 1 (2/2)

Cette bataille que mène des salariés, n'en déplaise à certains bureaucrates et à ces journaleux inconscients, celle du droit de vieillir et de mourir en bonne santé me semble une bataille fort honorable, tout aussi honorable que celle d’avoir une énergie décarbonée ou la survie du lobby nucléaire... Mais ce n’est là que mon avis.
Je comprends bien ce que cela ne semble pas très grave aux yeux de ces endoctrinés bien formatés que sont les stagiaires ingénieurs de l'EPR de Flamanville 3, l'EPR doit bien essuyer ses plâtres !... Et puis, ce ne sont pas eux, pas plus que les dirigeants d'EDF ou de CGN qui prendront des doses.
Pour ma part, je trouve cela grave bien au contraire, car avec le REX accumulé pendant plus de 40 ans sur ces "aléas d'exploitation" -bien que je préfère parler de rupture d’étanchéité de la première barrière biologique- qui restent accidentels, -et le peu qu'on veut bien nous en dire, apparition de défaut au redémarrage d'octobre, 5 crayons selon les dires(?)-, tout pourrait porter à croire que ces « défauts de gainage » soient vraisemblablement indépendants du fait que ce soit de l'EPR. En effet, Arencha Tigeras de la SFEN nous assure depuis son bureau, que « le réacteur EPR TM dispose des évolutions nécessaires de design permettant de fournir les fonctionnalités adaptées pour garantir en toute sûreté et sécurité l’application de différentes stratégies chimiques et radiochimiques ».
S’il est évident que la disponibilité des tranches est améliorée si les campagnes d’irradiation sont suffisamment longues et que les taux de combustion des combustibles sont accrus par l'augmentation de la quantité de combustible, il est tout aussi évident que les pertes d’étanchéités combustibles impactent significativement la disponibilité des tranches, mais bien plus que la disponibilité. Or, depuis le début des années 2000, l’IRSN pointe « une augmentation du taux de défaillance pour les paliers 1300 Mwe et 1450 Mwe du fait d’usure par fretting et de percement des gaines en alliage M5 ». Alors tout ceci n’était-il pas prévisible ? A-t-on vraiment considérer la balance bénéfices/risques ? On est en droit de se poser la question.
Malgré tout cela, ce que nous savons avec certitude, c’est que la contamination du fluide primaire et des circuits annexes impactera d’une façon ou d’une autre la dosimétrie des agents pour les décennies à venir, que les intervenants devront travailler dans des conditions d'irradiation importantes donc des conditions de travail plus que dégradées. (Et ce, même si le transitoire d’arrêt est correctement géré, ce qui est loin d’être gagné).
Car contrairement aux installations du CEA ou d’Orano, les bâtiments réacteurs sont des bâtiments principalement dédiés à l’exploitation ; l’ergonomie plus qu’exiguë de ces enceintes de confinement (3ᵉ barrière biologique) rend les conditions de travail particulièrement délicates, souvent difficiles. En situation normale, lors des arrêts de tranche pour rechargement, visite partielle ou visite décennale, les chantiers se superposent et s’enchainent toujours plus vite pour ne pas perdre de temps sur le chemin critique du redémarrage. Mais qu’en est-il dans une telle situation ? Des cartographies de tous les locaux devront être réalisées par les équipes de radioprotection, elles-mêmes de plus en plus fréquemment prestées, l’entreprise évitant ainsi d’engager sa responsabilité. Les nombreux chantiers à risque de contamination et notamment à risque de contamination alpha devront être identifiés et équipés de dispositifs particuliers. Des contraintes supplémentaires et des conditions d’interventions particulières devront être déployées (déprimogènes, tenues ventilées, déshabilleurs, etc). Des contrôles complémentaires devront être effectués, tout en sachant que peu de matériels de radioprotection dotés de sonde alpha équipent les services de radioprotection et que ce dernier est un matériel fragile, sensible avec un temps de réponse extrêmement long. La gestion des plannings, des chantiers, des EPI, des rejets, des déchets va s’en trouver grandement modifiée et grandement allongée. Le suivi médical des intervenants -si tant est qu’il y en ait un- devra être renforcé (antropogammamétrie, mouchage, analyses d'urine, des selles, etc. Alors c’est sûr qu’en ne parlant que de la somme des gaz, on évite ces sujets et on se garde bien d’avoir à répondre à toutes ces questions d’ordre sanitaire. D’autant qu’on a pu voir par le passé que la mauvaise gestion de ces chantiers à risque alpha -pas ou peu pris en compte par le mémento de la radioprotection en France- conduisait bien souvent à des contaminations internes non détectables aux portiques de contrôle, avec toutes les conséquences radio toxicologiques qui en découlent.
Alors, quand je lis les titres de la presse « incident très rarement inquiétant », parle-t-on de la banalisation du mal ? D'un mal nécessaire ? De l'accoutumance à sacrifier quelques vies comme chair à canon pour une soi-disant nouvelle génération de réacteurs ? Après plus de 40 ans d’exploitation et de retour d’expérience sur des réacteurs 900 mw ou 1300 mw, je ne peux m'y résoudre parce que je suis intimement persuadée que tout ceci était évitable.
Et ce, d’autant que des pays comme les États-Unis, l’Afrique du sud, l’Italie, et bien d’autres sont revenus à la raison avec des réacteurs de moindre puissance et se sont détournés définitivement de l’EPR pour différentes raisons.
Mais c'est vrai, c’est un « aléa d’exploitation », bien loin de chez nous, comme ces centrales à charbon à l'autre bout du monde que finance TOTAL, non... TOTAL-Énergies, qui s’est racheté un nom pour paraitre plus vertueux… Et puis, si je les suis dans leur cynisme, avec un brin de provocation, on peut même penser que tout ceci va générer de la croissance ! Mais à quel prix ?!
Alors en effet, ces « aléas d’exploitation » semblent bien regrettables!! Je vois que nos journaleux et nos propres agents -et pas seulement nos stagiaires- ont beaucoup à apprendre du monde de l'entreprise et de celui du nucléaire en particulier. Je les invite à plus d’humilité, à moins d’arrogance.
Bref, tout cela ne me rassure en rien, pas plus que les dernières photos que j'ai pu voir de ce fleuron qu’est l'EPR de Flamanville qui montre que les installations de la salle des machines et du bâtiment des auxiliaires nucléaires -du fait de son retard abyssal- sont en train d'être rongées par la corrosion avant même leur mise en service ! Qu’en est-il de celui de la Finlande ? Alors un peu de modestie ne ferait pas de mal dans ce monde de certitudes.
Pour autant, que les choses soient claires, je ne réfute en rien l’Énergie Nucléaire pour laquelle je travaille avec passion depuis plus de trente ans pour m’y être engagée et en être une lanceuse d’alerte aujourd'hui incontestée. Mais je ne peux que regretter aujourd’hui le manque de mesure et d’humilité, la perte de sens et la perte des savoir-faire par des hommes de l’art au profit d’une technocratie de la communication. Car, quand je vois sur les réseaux sociaux des Hommes comme le Directeur de la Division Production Nucléaire d’EDF, Etienne Dutheil -Homme que j’ai grandement apprécié en tant que Directeur de la centrale du Blayais- être aussi chèrement payé pour faire de la propagande pronucléaire, je trouve cela simplement triste et dégradant… EDF n’a pas de quoi se payer des communicants ? Ce directeur n’a-t-il pas mieux à faire avec 18 sites, 56 réacteurs en exploitation et les problèmes qu’on leur connait ?
Pendant ce temps, le prix de l’électricité ne cesse d’augmenter. Vous n’y voyez pas de lien ? Nos factures qui flambent- pas celles des agents, rassurez-vous ! - où passe cet argent ? Si ce n’est pour payer chèrement des avocats agressifs et menteurs pour se défendre EDF contre des lanceurs d’alerte ou pour remplir le tonneau des danaïdes de l’EPR ?
C'est certainement une des raisons qui pousse nos dirigeants à chercher à vendre à tout prix en pièces détachées ce qu'il reste de cette belle entreprise qu’est EDF, pour gagner leurs procès et combler sans cesse le gouffre technologique et financier de ce cadeau empoisonné d'une certaine Anne Lauvergeon.
Mais où sont les heures de gloire du Grand EDF que mon papa m’a fait tant aimer ?